Tuesday, January 14, 2014

Vers un monde de chiens Vol.2 - Des crottes au traîneau

Je dis souvent ne rien prévoir et me laisser porter par les occasions qui se présentent. Je m'autorise tout de même quelques exceptions quand il s'agit de rendre un service à un ami. En septembre dernier Gaëtan m'avait demandé si je pouvais m'occuper de ses chiens pendant le mois de février. Je ne pouvais pas refuser, et après quelques pas dans un autre chenil me voici maintenant au cœur d'une équipe de champion.


Gaëtan, d'origine belge, est au Yukon depuis 7 ans. Il en est à sa 10e année dans le monde du chien entre Norvège, Alaska et Yukon. Il y a plusieurs type de musher : hobby, business de tourisme (Oh les vilains anglicismes), compétiteur... Lui est clairement de cette dernière catégorie. Son objectif : la Yukon Quest 1000 miles. Pour pouvoir participer à ces courses ultimes il faut avoir terminé une course de 200 et une course de 300 miles. Il a déjà fini une 300, si tout se passe bien il devrait pouvoir faire la fameuse Yukon Quest de 1000 miles en février 2016. Cet hiver sera un peu plus tranquille pour les chiens, ses plus jeunes participeront a une course de 100 miles en mars mais lui sera occupé la majeure partie de Janvier et Février comme membre de l'équipe organisatrice de la Quest.

Un handler est la personne qui aide le musher à s'occuper des chiens. Il est souvent nourri logé en échange de ses services. Ils peuvent se limiter à la bouffe et les crottes mais peuvent être plus variés dépendamment de l'organisation du musher et du nombre de chien. Cette aide précieuse permet aussi dans bien des cas au musher d'avoir un métier (hors saison blanche) pour contenter sa couteuse passion.

Les chiens :

Ibex : Grand champion retraité, ex-leader, il a formé, Dona entre autre. Il est maintenant épileptique ce qui demande une médication et attention particulière.
Roadstrak : Champion à la retraite.
Dona : Leadeuse confirmée et mère de la portée 2.
Portée 1, 3ans : Bunny la belle, Jo au beau trot, Cute la sage et leadeuse, Mad la souple et leadeuse, Nini leadeuse branchée sur 12 000 volt.
Portée 2, 1an et demi : BJ, Nano, Lisa, Sali, Mega, JJ et Coffee.
Hushai et Grizzli chiens de compagnie de l'amie de Gaëtan.

Sur ces 17 chiens je dois en entraîner 13. N'ayant pas d’expérience et 4 leader potentiels je ferai deux équipes de 6.
Le traîneau et les commandes :

Pour le traîneau c'est assez simple. Il y a un tapis en caoutchouc entre les patins qui permet de légèrement ralentir l'allure. Le frein au pied et un gros crochet à planter dans la neige quand on est à l’arrêt.
Les commandes : Gee pour droite et Haw pour gauche et... c'est tout.

La nourriture :

Une tonne de viande et une autre de croquette pour l'hiver. Du gras de porc et de l'huile de canola pour ajouter une petite touche de graisse. La viande est en gros pain congelés de 25kg à découper quotidiennement à la hache. Il suffit ensuite de faire bouillir de l'eau et de mélanger le tout. Un gros seau matin et soir pour toute la meute.
Le comportement du chien vis à vis de sa bouffe est un élément primordial pour un chien de qualité. Il doit engloutir vite. Sont à proscrire tous les comportements « je prends mon temps », « je garde ma bouffe pour plus tard », « je vais essayer de voler la bouffe du voisin ». Évidemment la façon dont le chien conserve son poids est également important.

Première sortie :

Gaëtan a pu se libérer de ses obligations une matinée pour me montrer comment atteler et au moins un des chemins d’entraînement. Il me montre cela comme en situation de course, comme chacune de ses sorties sont. Tout va très vite : «  Tu enfiles le gilet a Lute, tu jettes les harnais au chien les jaunes c'est les grand les rouges les petits, tu enfiles les harnais, tu jettes les packs de booties (chausson pour les chiens) les blanches c'est les petites les rouges les grandes, tu les enfiles, tu détaches Cute, Coffee, Jo, Bunny et Lisa, tu vas chercher Dona, tu la gardes à la main attention, puis tu l'attaches tout devant, penses à lui laisser la neck line, puis tu appelles les autres et tu les attaches » Il me dit tout ça dans un vacarme monstrueux et strident, je n'avais jamais enfilé de harnais ou de booties avant ce jour. « Ensuite tu viens devant, tu vérifies que tout est bon et moi je tape dans les mains pour qu'ils comprennent que c'est le temps ». Les chiens tirent comme des bœufs et hurlent à la mort. Il court derrière son traîneau «  La tu tires tes chiens en arrière pour dégager le hook et... » Sa meute déchaînée le tire à vitesse grand V, c'est a mon tour de faire le même avec la deuxième meute en furie si je ne veux pas perdre Gaëtan de vue. Aussitôt mon crochet détaché les hurlements s’arrêtent, seuls un doux bruit de neige craquante sous mes patins et quelques cliquetis de la ligne en avant.

La trail est étroite et les courbes suffisamment serrées : il est pour l’instant interdit de sortir les bras ou le corps du traîneau au risque de finir contre un arbre. Les chiens tirent comme voulant accélérer l'allure mais le frein est de rigueur. Les virages m’empêchent de voir Gaétan devant. Je n'ose pas sortir mes deux pieds du traîneau, je sers fermement la barre de peur de lâcher mon véhicule. Cela serait la pire catastrophe possible : peu ou aucune chance de récupérer l'équipe.

Après quelques minutes j'arrive sur une longue et large ligne droite légèrement montante. Mon pied s’enlève du frein et vient enfin se poser sur les patins. Là les chiens ne forcent plus : ils se régalent au moins autant que moi. Le soleil commence a se lever dans son rouge habituel il fait bon, -20°C. Le silence est saisissant, je pense que je serais plus bruyant seul et à pied avec ma combinaison de cosmonaute. Jamais je n'imaginais autant de vitesse mais la cote s'annonce.


Les chiens, libres de tout poids jusqu'à présent, se retrouvent à devoir tirer un gros boulet se croyant en ballade. Nous approchons de l'arrêt tant la cote devient raide, Dona en tête, se retourne et me regarde droit dans les yeux tout en continuant à forcer. Cute, deuxième lead, l'imite. Je vois dans leur regard une même question : « Que fais tu gros boulet? ». Je commence donc à les aider à avancer en poussant avec une jambe. Ce n'est pas suffisant alors j'enlève complètement mon poids et choisis de courir en arrière du traîneau entre les patins. Sûrement un reflex de débutant : le tapis de caoutchouc étant précisément a cet emplacement, ce n'est pas évident de poser ses énormes bottes sans le piétiner provoquant l'effet inverse que celui escompté.

A peine arrivés en haut il y a une première jonction les chiens ont vu l'équipe de Gaëtan s'engouffrer à droite je lâche un timide « Gee » mais Dona était déjà dans le bon chemin. Suit une longue et sinueuse descente. Les chiens reprennent une allure de course c'est à moi de les contrôler. Je dois avoir ma ligne tendue en permanence, sinon je risque de rentrer dans les chiens. La sensation est un curieux mélange de pilotage de bolide de course et de sport de glisse. Pas le temps de s'attarder sur le paysage, ça fuse. Je saisis rapidement l'effet de mon petit poids. Si je veux sur-virer je me tiens sur le patin extérieur, pour sous-virer sur l'autre. Les successions de bosses en descentes font prendre de la vitesse et sauter le traîneau dans ce cas il convient de s'affirmer sérieusement sur le tapis ou de mettre coup de frein avant de se retrouver en l'air et perdre toute chance de maîtrise de l'allure. Tant que la ligne est tendue tout va bien. Les genoux se fléchissent légèrement, les appuis changent constamment : je me sens maintenant comme un véritable pilote.
En bas de cette descente il y a un gros croisement, il faut aller à gauche à 90°, j'arrive un peu vite, crie un « Haw » plein d'assurance. Dona exécute au doigt et à l’œil et part à droite comme ma commande l'indique... Efficace ces deux mots que je connaissais pas, elle ne suit pas bêtement, elle fait ce que je lui dis, en l’occurrence aller dans la mauvaise direction. Gaetan guettait au loin et crie « No », je comprends mon erreur, crie un « Gee », Dona se retourne un quart de seconde me regarde en disant « Espèce de gros débutant » et repart instantanément dans la bonne direction.

Suit une grosse cote. Aucune chance pour mon équipe de me tirer en haut, nous devons travailler ensemble. C'est donc avec ma combinaison de cosmonaute et mes chaussures lourdes comme deux fois mes jambes qu'il faut se remettre à la course dans une épaisse poudreuse. Une fois en haut je me pose sur ma barre pour reprendre mon souffle, les athlètes font le reste.

Nous finissons notre petite boucle. «Alors c'était bien ? Bon je dois aller en ville, prends toi une autre équipe et retourne faire un tour et reviens jeudi matin pour 3 semaines.» Je suis tout tremblant, chargé d'adrénaline, je bégaie un petit «ok ok» en défaisant les harnais des chiens.

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